La difficulté du déconfinement

La difficulté du déconfinement
ou le poids de notre condition d’être humain.

 

 

L’annonce et la mise en pratique du déconfinement semblent avoir (eu) un impact plus négatif sur nous que celles du confinement. Psychothérapeutes ou Coachs, nous observons, en nous comme chez nos clients, un état émotionnel plus labile, d’avantage d’anxiété, d’insomnies, de sentiment de vulnérabilité, de remises en question, un sentiment d’insécurité nouveau.

Conséquences d’un phénomène traumatisant qui ayant duré trop longtemps, nous a épuisé ?  Probablement. Retour à une réalité socio-économique qui s’annonce rude et à un contexte professionnel difficile ? sûrement. Mais pas seulement.

 

Ce que nous vivons avec le Covid-19 est une crise existentielle vécue au niveau mondial.

Le terme « Existentiel » fait référence aux philosophes qui ont traité des thèmes propres à notre existence, Kierkegaard ou Nietzsche par exemple. Mais ils étaient nombreux ceux qui ont traité de la mort, de la vie, du sens de la vie, Platon, Aristote, Heidegger, Rousseau ou Sartre, ou encore S. Rinpoché avec Le livre tibétain de la vie et de la mort et tant d’autres…

 

Des psychologues aussi se sont penchés sur ces questions fondamentales.

Irvin Yalom, psychothérapeute existentialiste américain est l’un des auteurs qui m’a le plus marquée lors de mes études. Il tisse avec brio des liens entre la philosophie et la psychologie, entre les questions posées par ses patients et les réponses universelles apportées par les philosophes autour de ces thèmes.

Regardons donc, comment la crise que nous traversons actuellement est venue nous convoquer face à ce que N. Salathé, un thérapeute Gestaltiste Suisse, nomme des « contraintes » existentielles. A savoir : la finitude, la responsabilité, la liberté, la solitude, l’imperfection ou encore l’absurde et la quête de sens.

 

Nous avons été placés d’un seul coup, face à ces questions universelles. Cette confrontation individuelle et collective nous a profondément ébranlés et demande encore à être dépliée, élaborée avant que nous puissions revenir à un état intérieur plus serein.

Jusque-là, la plupart d’entre nous tenaient à distance, plus ou moins consciemment, ces questions fondamentales liées à notre condition humaine. A l’origine de cette angoisse (existentielle) profonde, incompréhensible qui peut nous saisir parfois, ces questions émergeaient de temps à autre dans notre vie, grossièrement dissimulées sous des formes d’emprunt, dans l’espoir de se faire reconnaitre. Ce sont elles qui amènent bon nombre de mes clients en consultation.

Or, en quelques jours, nous avons dû penser la question de la finitude. La violence du nombre de décès annoncés heure par heure dans les médias, la peur de la maladie pour nos proches, et/ou pour nous-mêmes, les mesures de précautions à respecter, la mise à l’arrêt du monde entier, ont rendu évidente notre condition d’êtres mortels… Si une fois de plus, le principe de la mort au kilomètre s’est vérifié, les annonces en continu des régions, des villes, des lieux progressivement touchés par le COVID-19, nous ont réveillés : non, cela n’arrive pas qu’en Chine, qu’ailleurs et loin ! La réalité de notre condition humaine est venue secouer, sinon le déni, du moins le « confort » de l’évitement, dans lequel nous étions installés. Certains ont quitté un lieu de vie, un(e) partenaire, des habitudes, les enfants ont quitté l’école, les copains. Autant de séparations, autant de deuils à faire. Sans parler de ceux qui n’avaient pas encore pensé à la fin de vie de leurs parents ou de proches et qui ont perdu l’un des leurs au cours de cette période.

 

Une autre contrainte est venue nous gifler : l’imperfection. Celle des mesures prises, des soins disponibles, des systèmes en place, des moyens à notre disposition pour faire face à cette crise. Notre propre imperfection aussi, avec notre limitation à pouvoir tout gérer, tout contrôler à la perfection, vie pro-vie perso, avec notre incapacité à soulager les souffrances, à empêcher la maladie. Nous avons senti notre vulnérabilité, celle que nous avons tellement de mal à reconnaître et à accepter, celle que l’entreprise continue à vouloir nier, et qui a été si fortement rappelée à notre conscience.

 

Nous avons été confrontés à l’absurde en voyant des milliers de morts à cause d’un nano virus, dans une époque anthropocène qui se croyait toute puissante avec son homme augmenté : l’absurdité des ordres/contre-ordres reçus, des incohérences multiples et à tous les niveaux, l’absurde qu’un confinement puisse être heureux et bénéfique pour soi alors que d’autres en souffrent tellement…

La quête de sens dans un monde devenu « Vica », volatile, incertain, complexe et ambigu, le besoin de comprendre, de trouver un sens à ce que l’on vit, nous a attrapé à bras le corps, secouant l’ordre établi, questionnant le rythme fou de nos vies, jusqu’au choix de partenaires, de lieux de vie, d’activités… tout a été et reste chaotique et cela nous a fait contacter ce qu’il peut y avoir d’insupportable dans l’absence de sens.

 

Nous avons vécu la solitude et l’isolement dans nos corps, dans nos cœurs. Cette solitude qui terrorise et que beaucoup fuient par mille astuces, celle qui nous accompagne pourtant et dont nous faisons l’expérience aux moments charnières de notre vie, nous l’avons vécue, isolés, confinés, enfermés, parfois tout seul, parfois à plusieurs. Nos ainés en Ehpad ont souffert d’être seuls si longtemps, de partir seuls, et nous étions seuls face à leur peine et dans la nôtre.

Comme si ces épreuves ne suffisaient pas, le déconfinement nous a ensuite forcé et nous confronte encore à une autre question, celle de la Responsabilité.

Après avoir, dans un premier temps, obéi aux mesures de confinement, nous avons été confrontés à devoir choisir, à prendre et à assumer nos choix. Nous nous sommes posé des questions dont la réponse impactait notre relation avec les autres. Est-ce que j’envoie mes enfants à l’école ou est-il plus sécure de les garder à la maison ? Je porte un masque en famille ou uniquement dans la rue ? Est-ce que je retourne au bureau ou continue le télétravail ? Est-ce que je respecte ou brave les distances de protection ? Est-ce qu’on prend le risque de visiter des parents âgés ou vaut-il mieux se tenir encore à l’écart ?

En outre, nos choix se confrontent à ceux de notre entourage et potentiellement à la critique d’être soit « trop frileux » soit « pas assez attentif ». Le poids de la responsabilité individuelle peut être lourd !

Ne plus se positionner en victime, ne plus pouvoir accuser quelqu’un, et avoir à assumer ses choix, devenir responsable de ses actes, est parfois plus difficile que de s’adapter, suivre, et obéir. Prendre conscience de ses comportements pour pouvoir choisir en conscience ses actions et assumer leurs conséquences fait partie de notre chemin de croissance.

 

Avec la responsabilité vient aussi le thème de la liberté. La Liberté (ou le fardeau ?) de choisir, de continuer à faire comme avant, d’adopter l’attitude Business as usual, voire pire, ou de prendre une route nouvelle, choisir de redessiner notre avenir, nos projets, notre être au monde, liberté de changer et nous transformer …

Si la crise du COVID-19, le confinement et le déconfinement plus encore, nous ont tellement secoué, c’est parce qu’en tournant brutalement la tête, nous nous sommes cognés à l’ensemble de toutes ces contraintes existentielles réunies en une confrontation exigeante, impérieuse, celle de notre condition humaine, avec notre façon d’être et de vivre notre humanité.

Les dirigeants savent gérer des entreprises, rebondir après des Krachs boursiers, faire face à des mouvements sociaux, mener des PSE…  Bon nombre d’entre eux se sont sentis démunis devant (la peur de) la mort, des risques de maladie, de l’absence d’activité au rythme effréné.

 

La traversée de cette expérience est une invitation forte à mettre de la conscience et à regarder en face qui nous sommes vraiment.  Elle nous dérange et nous nous sentons fragiles, vulnérables. Le voyage sera plus aisé et plus apprenant si on l’accompagne d’échanges avec d’autres, de partages de ressentis, en nous appuyant sur l’expérience de ceux qui nous ont précédés, philosophes, écrivains et tous ceux qui ont réfléchi à ces questions.

Ce sera plus facile aussi, en osant montrer et accueillir notre vulnérabilité, notre condition humaine, sous le regard bienveillant de ceux qui ont avancé juste d’un pas sur ces questions et données existentielles.

 

Coachs et/ou psychothérapeutes, nous sommes là pour faciliter cette mise en conscience et accompagner le mouvement qui pourra permettre de se sentir plus libre, plus léger, et de pouvoir reconnaître et accepter en conscience la réalité de notre être : « Je suis naturellement limité, imparfait et digne, et l’Autre aussi ». G. Delisles

 

 

Priscille Glad